Hier soir, je suis passé voir ma fleuriste.
Elle avait un air triste que je ne lui vois pas souvent.
Elle m'a dit: "J'ai perdu un client cette semaine".
Certes, c'est toujours mauvais pour le commerce, de perdre un client; mais de là à en devenir triste...
Elle a ajouté: "Oui mais lui c'était quelqu'un de bien. Un grand Monsieur"...
Vous savez, quand le robinet coule, il faut le laisser couler.
En quelques secondes de plus, j'ai compris qui était ce grand Monsieur.
Je l'ai suivi moi-même, cet homme, de l'athanée au crématorium, en passant par l'église.
Et puis même avant, à la clinique, en fin de vie, avec quelques amis; un croque-mort bon vivant, un curé de choc, des fidèles, et toute une famille unie dans l'attente.
L'attente de l'inévitable.
Nous nous connaissions depuis 40 ans, "le grand Monsieur" et moi.
Nous avions fait campagne; "la guerre", comme on dit à la télé, dans les Balkans.
Pas qu'une fois, et pas toujours exactement dans le même camp.
Mais ce n'est pas là que "la dame blanche" l'attendait.
C'est bien des années plus tard, à son heure à elle.
J'ai laissé "la dame des fleurs" tracer le portrait qu'elle avait du grand Monsieur.
Pas le même que le mien, mais vraiment pas loin.
Un portrait du Sud-Ouest, où l'on aime bien rire et parler poliment aux dames, tout à la fois.
Un homme à la fois sérieux et souriant, respectueux, et toujours aimable.
J'ai acheté mes fleurs.
Un bouquet tricolore pour son souvenir, au grand Monsieur.
Un autre, plein de lumière, pour le reste du monde.
Je suis rentré chez moi.
Je suis revenu le même soir, avec un cadeau pour la fleuriste.
La photo du grand Monsieur. Il y a une vingtaine d'années.
Cela lui a fait plaisir, à la fleuriste, elle me l'a dit.
Finalement ce n'est qu'après sa fin terrestre que la grandeur de l'homme ressort le mieux.
Bises aux dames, la veuve et les filles du grand Monsieur en premier.
Salut aux Messieurs. Aux vrais hommes, car il en est des faux.
Lui, c'est un des vrais, pour l'éternité, et je n'aurai plus à le saluer...
Je lui ai rendu cette semaine les honneurs militaires, l'épée à la main.
Face à son cercueil, devant une église; blanche, comme la dame qui l'attendait.
"Deponens aliena ascendit unus..."
A Dieu, camarade...
Didier CODANI
A Nice ce 16 avril 2023
P.S .: A la sortie de l'église on jouait "Imagine" de John LENNON.
"Le pouvoir des fleurs" de Laurent VOULZY c'est un peu pareil, mais en français.
Pour "la dame blanche" c'est dans une chanson de Jean-Pax MEFRET: "Les oies sauvages".
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