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Le Binouzien du dimanche midi


Image de pure illustration, mais si vous cherchez les bières, elles sont au fond à droite.

Dimanche midi de retour à domicile sur cette belle terre de France continentale, et je découvre le vide de mon frigo sur quelques points essentiels du déjeuner dominical.


N'écoutant que mon courage, et un peu le poste radio de la cuisine, j'empoigne un cabas et je fonce à la supérette/épicerie de quartier la plus proche.

Pas de problèmes particuliers, je récupère le nécessaire et je passe à la caisse.


C'est là que la caissière, une gentille jeune noire sympathique, est obligée d'intervenir concernant un individu entré dans mon dos, pour lui dire qu'il ne peut pas faire les courses sans masque.


L'homme proteste qu'il n'a pas de masque (ce qui n'aide pas à résoudre le problème) et qu'il s'en fout (ce qui aide encore moins).

La gentille caissière lui explique, poliment, qu'elle ne peut rien lui vendre s'il n'a pas de masque.

Monsieur commence à s'énerver, et elle lui explique - toujours calmement - qu'elle peut lui vendre un masque pour 50 centimes d'Euros.


Jusque là tout allait encore presque bien, sauf que le type a l'air décidé à faire un esclandre et sort des rayons avec l'air déjà bien lubrifié par le houblon.


A cet instant, tel le commissaire BOURREL dans "les 5 dernières minutes" (ce qui ne nous rajeunit pas, ni les uns ni les autres) je réalise à qui nous avons affaire.

Sa maîtrise embrumée de la langue française à l'accent Sud-Méditerranéen prononcé me le laissait déjà deviner:

Il parle le Franco-Bizouzien du Sud.

C'est donc un Binouzien méridional.


Le Binouzien, pour votre culture générale d'hommes et de femmes du monde, n'a ni race, ni religion, ni couleur déterminée. Il n'est pas raciste.

Il aime le rouge comme le rosé, la bonde comme l'ambrée, et même le blanc sec à l'occasion.

Seul le petit noir l'inquiète; sauf le matin, pour se réveiller.


Dans le cas particulier de ce dimanche midi, je dirai que c'était un JFOM (Jeune Français d'Origines Multiples) dont les papiers, s'il en avait eu sur lui, auraient pu ne pas être Français.


C'est arrivé aux abords de la caisse, avec la prétention aussi arrogante que visible de passer devant moi, que cet émanateur d'alcool distillé a pris conscience de ma présence.


Comme j'ai une veste de costume sur le dos, il ne me calcule même pas, et essaie du haut de ses 60 kilos tout mouillés de s'en prendre à la caissière, en lui disant qu'il ne voit pas pourquoi il va payer ça en plus.

Là, c'est moi qui lui dis, sèchement, que c'est la Loi en France.


Vous connaissez mon amour des masques, des tours de passe-passe sanitaires et de toute cette brillante législation. Mais laisser un aviné pareil s'en prendre à une dame, c'était inadmissible.


L'intéressé réalise d'un coup que j'existe, et qu'en plus je ne vais pas le laisser faire.

Sa surprise, amplifiée par tout ce qu'il a pu avaler depuis le réveil ce matin, fait plaisir à voir.


J'ajoute, toujours froidement, que "la scène est filmée par une caméra qui enregistre les images et le son", et que la dame ne va pas perdre sa place à cause de lui, pour un masque.


Le coup de la caméra est une pure invention dans l'inspiration du moment, mais ça passe.

Le bonhomme applique ce vieux principe de Michel AUDIARD:

"Quand les types de 130 kilos disent certaines choses, ceux de 60 kilos les écoutent".


Cent Mille Dollars au soleil (1964) Film d'Henri VERNEUIL

Je n'ai jamais atteint les 130 kilos, et j'en suis même loin, mais lui, il ne devait guère dépasser les 60; et tout bourré qu'il était, il n'avait pas envie de se faire bourrer d'avantage.


Il a bien tenté de me dire de m'occuper de mes affaires, et j'ai répondu que le respect de la réglementation c'était mes affaires.


Je sais, ça fait un peu prétentieux; mais c'est écrit dans le Code de Procédure Pénale.

Article 53 pour la flagrance, et article 73 ensuite. Vous pouvez vérifier:

"Dans les cas de crime flagrant ou de délit flagrant puni d'une peine d'emprisonnement, toute personne a qualité pour en appréhender l'auteur et le conduire devant l'officier de police judiciaire le plus proche".


Le cuistre aurait bien continué à ergoter sur la jurisprudence mais c'est à ce moment-là que les autres clients attirés par le bruit et l'ambiance sont arrivés pour contribuer au dialogue social.


Un en particulier qui me faisait bien deux têtes de plus que moi et 50% en largeur de coffre, avec des bras comme j'ai les cuisses.

Celui-là il a fallu aimablement le calmer aussi, mais pas pour les mêmes raisons. Pour une fois qu'il avait une opportunité d'écrabouiller un nuisible, il était prêt à rendre service à la société et à en faire une compression de César en prime.


Là encore, le mythe de la caméra a bien servi; et tout en le remerciant pour sa bonne volonté, je l'ai invité à ne pas gâcher un si beau dimanche en famille par une détention inutile au poste de Police voisin.


Le poivrot masqué (il a payé le masque) a réglé sa "Despé" vite fait, et il est parti non sans nous dire - de loin - qu'il était pas content. En jetant le masque pollué par terre...


Ce que j'ai noté dans cette petite histoire, c'est que force reste à la Loi, ce qui est très moral.

J'ai noté aussi que la Loi n'interpelle les ivrognes que quand elle s'incarne dans une personne ou deux.


Seul face à une jeune caissière, qu'il ne pouvait pas traiter de raciste, ce cuistre aurait bien tenté non seulement de s'exempter de masque mais encore de paiement.

Seulement voilà, il a trouvé face à lui deux hommes qui ne sont plus des gamins et qui étaient déterminés.

L'un des deux (pas moi) lui promettant de lui faire rentrer la tête dans un endroit de son anatomie que la morale et la décence m'interdisent de nommer ici.


Quand nous sommes seuls, le Binouzien se croit fort.

Quand nous sommes forts (y compris au niveau du tour de ceinturon) le Binouzien se calme.


J'ajoute - ce dont je ne doutais pas - qu'en vérité le Français moyen est courageux.

Qu'on lui donne un bon motif et un chef; avec les deux, il vous défonce la planète.


Enfin, les discours, les paroles, les écrits, les billets de blog... y compris celui que vous venez de lire, ne sont rien sans la présence sur le terrain, et les actes.

"L'épaisseur d'une muraille compte moins que la volonté de la franchir", disait THUCYDIDE dans la Grèce antique 400 ans avant Jésus-Christ.

Ce sont les hommes qui changent le cours d'une histoire, pas les textes ou les murs.


Comme le dit si bien (et bien mieux que moi) Sa Sainteté le Pape François ce matin même:

"La rencontre nous change et nous suggère souvent de nouveaux chemins que nous n'aurions jamais pensé emprunter"...


Pensons-y dans quelques mois, où nous verrons tant de beaux parleurs et d'écrivains, polémistes qui ne vont jamais au contact, vous promettre la lune pour l'avenir de la France... et 5 ans de contrat dans un Palais de la République.


Je vous souhaite un bon dimanche, nous vivons une époque moderne.


Didier CODANI


Dimanche 10 octobre 2021

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