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Diên Biên Phu et le 8 mai

Vous avez tenu,

jusqu'au bout.

Il y a 69 ans, à 17h30, le camp retranché de Diên Biên Phu tombait, sans avoir capitulé.


Cette bataille, la dernière de "l'Union Française", est devenue la référence des parachutistes français. Leur symbole mémoriel le plus fort, le plus marquant. L'un des plus sanglants aussi.

Sur 11.721 prisonniers à la fin de la bataille, 8.290 hommes ne reviendront jamais des camps de la mort lente où ils seront envoyés.

Il y eut plus de morts exterminés dans ces camps que durant les combats.


Il y a bien des années, presque 40 ans, que chaque fois que possible je participe à cette commémoration, au monument aux morts de la ville de Nice.


Elle a connu des fortunes diverses, cette commémoration. Parfois boudée, parfois même (en 2020) carrément... interdite.

Enfin, presque.

Car il s'est trouvé cette année-là un parachutiste pour aller sur place déposer un modeste pot de fleurs. Il y avait juste un mot écrit dessus, je m'en souviens: "Diên Biên Phu".

Il se reconnaîtra et je ne le dénoncerai pas.


Diên Biên Phu, ce sont les parachutistes et la Légion étrangère avec des chefs, des cadres de légende,et des hommes hors pair.

Oui, il y eut aussi des déserteurs, mais pas là. Principalement dans les unités nord-africaines. Ceci dit, tous les tirailleurs ne finirent pas sur les rives de la Nam Youm.

L'histoire retiendra toutefois que ce sont les parachutistes et la Légion étrangère qui ont le plus combattu, jusqu'au 7 mai 1954 à 17h30.


L'histoire aura du mal à retenir le rôle des femmes, "aide-soignantes" venues du bordel du camp pour aider les blessés les plus graves à finir leur vie ou à tenir le coup.

Une vingtaine de prostituées, essentiellement vietnamiennes.

A la fin des combats, elles ont été purement et simplement assassinées par le Vietminh.

On en parle très peu.

Or elles ont bel et bien existé, et sont mortes en violation de toutes les lois.

On s'incline devant des gens qui parfois le méritent fort peu. Je m'incline respectueusement devant la mémoire de ces femmes qui auraient pu fuir, et qui sont restées, jusqu'à la mort.


Tout cela, c'est une page de gloire des armées française. Il paraît.

Disons plutôt quatre pages, qui sont toujours aussi poignantes à lire, près de soixante-dix ans après. Je ne l'ignore pas, puisque cet historique c'est moi qui le lit, depuis des années.


Parfois, je le sais très bien, je marque des temps d'arrêts, j'ai la voix qui vrille et que je dois reprendre; comme aux obsèques d'un parent ou d'un ami, lors de l'éloge funèbre.

L'émotion, trop forte, renvoie à trop de souvenirs pour qu'on puisse parler sans pause.


Cette année, c'est en premier à des morts d'autres campagnes que la guerre d'Indochine que cette lecture m'a renvoyé. Des morts que j'ai connus, dans les Balkans.

Alors, je reprends le souffle, je relève la tête pour voir l'auditoire et repartir de l'avant.


Cette année, la vue de l'auditoire ne m'a pas vraiment aidé à reprendre mon souffle.

Il y avait là, dans les invités, une dame blonde élégante que je connais.

Il se trouvera bien une ou des malfaisantes pour dire "une vieille dame" alors qu'elle n'en a pas l'apparence.

Ce n'est pas pour se promener qu'elle est là.

Elle, c'est son père qui est tombé à Diên Biên Phu, il y a soixante-neuf ans.

Soixante-neuf ans après, elle est là.

Si elle est là à écouter sans trembler ce terrible récit, de quel droit puis-je m'interrompre plus que le temps de reprendre mon souffle?


C'est là que se démontre la grande différence entre un discours "administratif" ou politicien et l'émotion qui imprègne le récit d'une commémoration militaire.

Impossible d'être neutre quand on sait tout le sang et la boue qu'il y a derrière les chiffres et le récit d'une telle bataille, la plus sanglante depuis la dernière guerre mondiale.

C'est en la regardant elle, que j'ai eu le plus de mal à retrouver le fil de mon historique.


Peut-être aussi parce que c'est la première fois que je conduis la cérémonie en tant que président des parachutistes de Nice.

Première fois, de ce fait, que je mène deux de nos anciens d'Indochine, dont un qui est notre dernier survivant de Diên Biên Phu, pour déposer la gerbe des parachutistes de Nice.

"Jojo" un parachutiste du "Bawouan" le 5e Bataillon de Parachutistes Vietnamiens.

Diên Biên Phu, il connaît. Il y a combattu.


L'autre, c'est un ancien officier Légionnaire-parachutiste, sous-lieutenant du 1er Bataillon Étranger de Parachutistes, devenu avocat, puis sénateur-maire de Nice.

Il n'a pas combattu à Diên Biên Phu. Il était en base arrière à Haïphong, à l'époque.

Mais j'ai souhaité qu'il soit là, avec moi, avec nous, tant qu'il peut le faire.


Il paraît que mon choix aurait réveillé de vieilles inimitiés entre quelques anciens d'Afrique du Nord et nos rarissimes anciens d'Indochine.

C'est mon choix et je l'assume. Je ne regrette rien.


Avec toute l'estime et la sympathie que je porte à nos anciens, je ne fais aucune distinction entre générations du feu. D'autant plus dans ce cas particulier que l'intéressé ne m'a rien demandé. C'est moi qui lui ai demandé de venir, et ensuite de porter notre gerbe ensemble.


Ce ne fut pas facile, car nos deux anciens ont eu quelques difficultés avec les marches du monument aux morts. Alors on a "escaladé" les marches du mieux que l'on a pu, et l'apparente "familiarité" que j'ai témoignée à "Jojo" en gardant ma main soit à son épaule soit à son dos... C'était tout simplement pour le rattraper plus vite en cas de chute!


Tout s'est bien passé.

Durant le trajet aller et retour, je ne peux pas m'empêcher de penser au destin d'un sous-officier devenu officier de la Légion d'honneur, et d'un ancien sénateur-maire qui finalement se retrouvent là avec moi "pour l'honneur" et la fidélité à l'engagement de leurs vingt ans.


Ils ont du mal à marcher à la même vitesse, mais pourtant ils le font.

Ils sont venus.

Ils ne sont pas là pour eux. Ils sont là pour "eux"; ceux qui sont tombés.


C'est frappant.

Chacun des deux pourrait être mon père, avec le droit de dire "Non merci, j'ai déjà donné".

Pourtant dans leurs regards, dans les mots échangés, j'ai plus appris en 5 minutes sur "le devoir de mémoire" que ce que j'aurais pu apprendre en mille discours ou conférences.

Ils savent qu'ils sont les derniers d'une génération, et ils ne lâchent rien. C'est inestimable.


Merci "Jojo".

Je crois avoir compris la qualité de nos sous-officiers rien qu'au vu cette détermination.


Merci maître. La modestie de m'en proposer un autre à la dernière minute m'a touché.

Mais je voulais un Légionnaire, et un officier, pour l'équilibre de la démarche.


Fin de cérémonie. Une cérémonie exceptionnellement riche en personnalités:

Le Préfet, représenté par une sous-préfète en ce long weekend;

Le Délégué Militaire Départemental, représenté par un lieutenant-colonel breveté parachutiste.

Le colonel commandant le Groupement de Gendarmerie, en personne.

Oui, lui aussi breveté parachutiste militaire. On reste en famille.

La vice-présidente du conseil départemental.

Le maire de Nice, représenté par... son prédécesseur et ancien premier adjoint.

Sans oublier la conseillère municipale en charge du lien armée-nation et du SNU.

En fait, nous étions cinq sur le carton d'invitation au départ. Et puis...

D'un coup, apparemment, "tout le monde" ou presque a voulu en être.

J'aurai mauvaise grâce à m'en plaindre. Bien au contraire, j'apprécie.


J'ai failli oublier un général (2S) au titre de la Société d'entraide de la Légion d'honneur.

J'en oublie d'autres, comme un colonel (ER) parachutiste ancien Délégué Militaire Départemental, et l'ensemble des porte-drapeaux... car ceci est mon billet de blog, pas une page de "Nice-Matin" ou un compte-rendu de réunion.


Une chose est certaine:

Outre les services du protocole de la ville de Nice, je n'aurai pas pu parer seul à autant de "bugs" et d'imprévus sans mon trésorier, mon secrétaire, mon vice-président.

Merci à toutes et à tous.


Demain, ou plutôt dès à présent; mais quand le soleil se lèvera, ce sera le huit mai.

Un des jours où l'on porte le "Bleuet de France".

Souvenez-vous s'il-vous-plait, non pas que ce jour est férié mais POURQUOI ce jour est férié.

A 18h00 nouvelle cérémonie, avec cette fois le ban et l'arrière-ban de toutes les personnalités des Alpes-Maritimes.

Nous y serons aussi. Une poignée. En spectateurs.

Et nous savons pourquoi nous y serons.


Bises aux dames, en particulier celles qui ont de l'élégance et de la mémoire,

Salut aux messieurs, ceux qui ont combattu pour la France à Điện Biên Phủ en particulier.


Didier CODANI



A Nice, ce 8 mai 2023 à 2h30 du matin

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