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La fin de Barkhane vue par GOYA



"Tres de Mayo": Diplomates occidentaux ayant raté le dernier avion de nuit à Bamako.

Le petit personnel de l'ambassade, en arrière-plan, pleure déjà à l'idée de ce qui va suivre.


"Tres de Mayo" signifiant en Bambara-Bomu-Bozo-Dogon:

"Le chef il avait dit de t'en aller".

Traduction non garantie. Faute de traducteur je l'ai faite moi-même...

 

Le colonel (ER) Michel GOYA a de multiples talents, et son dernier ouvrage est une belle peinture; alors je n'ai pas résisté à la tentation de commencer à l'illustrer par cette toile si connue de son célèbre homonyme du XIXe siècle, le peintre espagnol Francesco GOYA.

La couverture du texte qui vaut à Michel GOYA un portrait (mérité) du quotidien "Le Figaro" récemment, est moins saignante.

En revanche l'intérieur de ce mémoire synthétique ne mâche pas ses mots.



C'est que Michel GOYA n'est pas un intellectuel éthéré. Il a un grand défaut, c'est de savoir un peu de quoi il parle quand il se décide enfin, en pesant ses mots, à coucher ses impressions sur du papier.


Je ne vais pas vous redonner le texte paru dans la presse.

Vous avez un lien pour le retrouver facilement, et le mémoire lui-même, s'il vous reste trois Euros cinquante sur votre carte bancaire vous allez pouvoir vous l'offrir chez "Amazon".


J'ai l'honneur et le bonheur de connaître un peu Michel GOYA, en tant que lecteur ou en tant que camarade, depuis "Sous le feu" qui reste une référence majeure dans ses écrits si spécialisés, jusqu'à finir "Le temps des Guépards. La guerre mondiale de la France de 1961 à nos jours".



Alors il a bien voulu me permettre de lire les 40 pages (et 4 pages de références détaillées) de son point de vue éclairé sur l'opération Barkhane.

 

Je n'ai connu le Mali qu'au travers de rapports, de notes, de mémos, pour ma "culture générale d'homme du monde".

Alors de quel droit, à quel titre, commenter Michel GOYA?


D'abord, parce que, en toute modestie, il me l'a demandé.


L'idée n'est pas de chercher un expert pour lui demander d'évaluer un autre expert.

L'idée c'est de prendre un lecteur dans la foule des lecteurs, et de se demander si c'est lisible, compréhensible, et à quel niveau.


Bonne idée. Humble. Simple.

Mais pas si facile à faire que ça.


Je vais immédiatement vous rassurer, cela se lit très bien.


Techniquement, je crois que j'ai trouvé une faute de typographie, un blanc redoublé au milieu du texte, et puis c'est tout. La mise en page "va bien", les encadrés et les illustrations sont bien à propos. En même temps, pour un officier supérieur d'état-major qui rédigeait des notes au chef d'état-major des armées, rien de surprenant. Il sait écrire.

La forme est excellente.


Où trouver à redire?

A vrai dire, il faut chercher dans le fond.

J'ai cherché, et - à mes yeux - je n'ai pas trouvé.


Alors, j'ai remplacé les yeux d'un camarade par ceux d'un auditeur interne.

Et là, il y a de quoi dire. Je le lui ai d'ailleurs dit.

 

D'abord, cet écrit qui prend son envol, il ne sera pas abattu par une rafale de RPK car il est à une bonne altitude. Au-dessus de la bouillie médiatique habituelle.

Ce n'est pas destiné exactement à un très grand public. C'est l'inconvénient de sa qualité.


Ce texte est magnifique, mais il faut une culture politico-militaire minimale pour bien le comprendre.

On peut le commenter au coin du zinc dans un bistrot, mais il faut savoir (le) lire.


Ensuite, cet essai est implacable.

Comme au rugby quand on arrive à s'échapper de la mêlée.

Il sort du lot, avec une rudesse et une franchise terrible.


Sans aucune outrance ni vulgarité, il brise des tabous.

Au nom de l'efficacité, au nom du réalisme.


En premier il accuse clairement l'un des pires maux de notre temps: la corruption.

Cette corruption qui conduit à l'inertie, à l'inefficacité sur le terrain.

Ah non, ce n'est pas là des armées occidentales ou de l'armée française qu'il parle.

Ce n'est pas "sur le coup", ou "à chaud"; c'est froidement, sur les 10 dernières années.

Il dénonce posément cette gangrène, dans tous ses effets.

Il explique les différences de gamme tactique qui - forcément - en découlent ou en sont impactées.


Il dénonce aussi quelques vrais-faux alliés, qui jouent leur propre jeu dans le Sahel.

Il fallait bien que quelqu'un le dise un jour. Il le dit.


N'allez pas en déduire qu'il est aveugle ou complaisant sur les choix de l'armée française.

Quand il écrit (page 11) "avec seulement un marteau on ne voit que des clous" ce n'est pas un compliment. Quand il ajoute dans la lettre et l'esprit, un peu plus loin, évoquant en creux les mots du Maréchal LIAUTEY ou du lieutenant-colonel Davis GALULA (voire des colonels De COURREGES / GERMAIN / LE NEN): "la tache d'huile n'aura été qu'une tache d'eau" (page 13) c'est particulièrement critique.


Les éléments de démonstration des effets toxiques de la corruption en Afrique, c'est un premier tabou brisé. C'est trop facile de se défausser sur un "colonisateur" qui dans ce cas précis n'a même pas d'intérêts "coloniaux".


Second tabou qu'il attaque de front: celui du mercenariat.

Je crois cette attaque trop bien rédigée pour que je la résume. Il vous faut la lire.

Elle démarre, page 22 avec : "Pourquoi pas des Français sous contrat local."

Ce n'est pas un argumentaire doctrinal, c'est un argumentaire pragmatique; qui ne nie en rien au pays où se déroule l'action; ses droits, et aussi ses devoirs, pour relancer une armée qui ne soit pas fragmentée (page 23) avec "une garde prétorienne qui bénéficie de toutes les faveurs"; en demandant pour tous: "des soldes correctes, réellement payées, et des conditions de vie convenables...".

Le désastre que représente le 21 mai 2014 à Kidal sert d'exemple.


Certes, il faut entrer dans le détail pour comprendre.

Alors il y entre, explique à nouveau la notion de niveau, que le commun des mortels oublie en se contentant de comparer le tableau des effectifs de part et d'autre, sans tenir compte - évidemment - de la vraie valeur des troupes engagées et de leurs modes d'action.


Car Michel GOYA ne se contente pas de faire un bilan: Il propose.

Ce qu'il propose, c'est un peu pour l'armée française, mais beaucoup pour les armées locales. Point par point. Pied à pied.


Avec la mémoire d'autres temps, d'autres troupes et d'autres lieux, je rejoins à partir de là, ces pensées de Michel GOYA.

Je le rejoins évidemment sur la notion de contrôle de zone, sur la notion d'unités "embedded", sur l'initiative du feu, la protection du terrain qui prime sur les "bastion walls"...

Tout ce qu'il écrit là sur la façon dont on devrait "mailler le terrain" au niveau d'un bataillon en sachant descendre dans l'armée locale (la "rassurance"), dans les villages (l'exemple des CAP, "Combined Action Platoons" américains...) pour irriguer la contre-guérilla face à des "hadji auto-proclamés" (là c'est moi qui l'écris)... Bien sûr, ça parle.


Il ne faut pas que ça parle juste d'un officier français à d'autres officiers ou sous-officiers et gradés français. Il faut que cela parle aux militaires locaux.

 

Je ne peux pas vous garder plus longuement en commentaire de texte.


Je ne vous donne pas sa conclusion; vous la lirez si j'ai pu - je l'espère - vous donner envie de lire Michel GOYA, mais la mienne :

"Je n'ai pas vécu cette opération qui n'est pas finie... mais grâce à lui je la comprends mieux".


Belle étude.

Argumentée. Documentée. Indépendante et sans complaisance.

A connaître, et à faire connaitre.


C'est la guerre de maintenant, avec ses nouvelles règles, qui vous est montrée, expliquée.

Pas juste vous, qui vivez tranquille en occident, ou qui préparez calmement des concours qui mènent aux étoiles.

C'est pour ceux qui sont là-bas. C'est pour ceux dont c'est le pays.

Avec la France, s'ils le veulent bien, avec l'Europe, avec l'occident.

Ou sinon tout seuls. Avec leurs chefs, avec leur administration, et avec leurs moyens.


Car il ne faut pas s'y tromper, les "musiciens" que l'on importe à grands frais ne sont que des gardes du corps plus lourdement armés que la moyenne.


"Ce n'est pas en protégeant des prédateurs que l'on amène la paix dans un pays".


Didier CODANI


A Nice, ce mardi 8 février 2022





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